Blanca est franco-colombienne et vit en Inde depuis 8 ans, pour la plupart du temps au Ladakh. Lors de la nuit du 5 au 6 août dernier et des jours qui ont suivi, elle a vécu une expérience très particulière, riche en enseignements.
8 jours avant les terribles inondations, Blanca est allée s’installer dans le paisible village de Saboo, en tant que bénévole dans un stage de méditation Vipassana qui devait durer 10 jours.
La 8ème nuit, un terrible orage a réveillé Blanca, qui n’en avait jamais vu de tel malgré son expérience des orages tropicaux colombiens. Le tonnerre et les éclairs étaient continus. Le ciel était couvert de nuages immenses et denses, qui bougeaient comme un animal en furie. Elle est retourné se coucher, jusqu’à ce qu’une étudiante vienne lui dire qu’il y avait des inondations tout autour de leur bâtiment. Blanca a gardé son calme et rassuré les étudiants inquiets.
En quelques minutes, cet animal féroce a totalement disparu en direction de Leh. Au total, il a agit pendant environ 30 minutes.
Le lendemain matin, un bénévole habitant le village, Lundup, est venu s’excuser de ne pas pouvoir continuer à donner son aide. Il était couvert de boue de la tête aux pieds. Il a expliqué qu’une grande partie du village avait été détruite, que sa propre maison avait été partiellement emportée par les flots tandis que la maison voisine avait totalement disparu avec 3 personnes.
Lundup a aussi raconté que sa vie avait été sauve grâce à sa pratique de Vipassana qui lui a permis de garder son calme. Il était seul dans la maison. Réveillé par l’orage, il a entendu un terrible bruit. Il a ouvert une porte pour découvrir un océan ; il a ouvert une autre porte pour voir un autre océan, sa maison était entourée d’eau. Il s’est alors dit que s’il sortait, il mourrait sûrement, et que s’il restait, il aurait une chance de survie. Il est donc resté et a prié. C’est ce qui l’a sauvé. Beaucoup de gens qui ont paniqué ont essayé de sortir et sont morts noyés.
Le centre de méditation est situé à 200 mètres seulement de l’endroit où a commencé le désastre, que Blanca, le professeur de méditation et les étudiants ne pouvaient pas voir. Le professeur a décidé de poursuivre le cours jusqu’à la date prévue. Blanca a eu une discussion avec ce dernier pour résoudre un dilemme concernant cette décision, une partie d’elle-même voulant arrêter le cours pour aider les villageois. Le professeur a dissout ses doutes en lui disant calmement : « En méditant, en leur envoyant beaucoup d’amour et de compassion, nous les aidons aussi. ».
Ils ont donc continué la méditation pendant les 2 jours et demi suivants. Ils n’ont pas expliqué aux élèves ce qui s’était passé pour qu’ils puissent méditer. Certains élèves ont pu observer des villageois passer en pleurant, mais d’autres étaient dans leur bulle et ne se doutaient de rien. Blanca et le professeur ne leur ont révélé ce qui était arrivé que le dernier jour avant le départ du centre.
Un peu plus tard, cette même journée, le mari d’une élève, médecin à Leh, est venu apporter des nouvelles de ce qui s’était passé à Leh au cours de la nuit. Il avait travaillé toute la nuit à l’hôpital où le niveau de la boue avait atteint la hauteur des lits. Au petit matin, avec ses collègues et des bénévoles, ils ont cassé la porte du nouvel hôpital presque terminé pour y déménager les malades et blessés. Puis, ayant su que Saboo avait été très sérieusement touché, il a marché pendant 4 heures à travers les montagnes - la route étant impraticable - pour savoir si sa femme était sauve. Il a raconté ce qui s’était passé à Leh et à Choglamsar.
L’expérience de méditer en sachant qu’un tel désastre avait eu lieu juste à côté a été un apprentissage très fort pour Blanca, qui dit : « Nous sommes si conditionnés par l’idée que la matière est solide que nous croyons que la seule manière d’aider passe par l’action. Pendant ces 2 jours et demi, j’ai réalisé que nous pouvons également agir efficacement dans l’immobilité de la méditation. ».
Le jour où ils ont quitté le centre de méditation et marché dans ce village dévasté, au travers des roches de toutes tailles et de la boue, ils n’en croyaient pas leur yeux. Ce qui les a marqué le plus, c’est à la fois l’ampleur du désastre, et à quel point l’endroit où ils avaient vécu pendant ce stage était proche de ce lieu ravagé. Les bâtiments où ils avaient dormi et médité étaient situés dans un petit coin où rien n’est arrivé, alors que 200 mètres d’un côté et 200 mètres devant, les maisons étaient détruites…
Pendant ces 10 jours, ils avaient essayé de comprendre l’impermanence des choses. En marchant dans un tel paysage de désolation, ils pouvaient se rendre compte qu’ils vivaient une expérience extrême de l’impermanence des choses et des êtres.
Avant de quitter le centre, ils avaient pensé à offrir leur aide aux villageois. Mais quand ils ont vu l’ampleur des dégâts, ils ont su qu’il n’y avait pas grand chose à faire à ce moment-là. D’un côté, il y avait cette compréhension de la notion d’impermanence, de l’autre, ce sentiment d’impuissance face à un tel désastre.
Il était impressionnant de voir que les ladakhis, malgré le fait que 14 personnes soient décédées dans le village, gardaient leur sourire. L’armée était sur place, creusant et retirant des pierres. Ils étaient calmes et leur ont même offert du thé ! Personne ne comprenait d’où sortait ce groupe d’étrangers et d’indiens avec leur sac à dos.
Pendant les jours suivants, la franco-colombienne a décidé de rester à Leh au lieu de retourner dans le village non dévasté où elle habite. Les 2 premiers jours, elle a surtout été prendre des nouvelles de ses amis tibétains vivant à Choglamsar. Elle a également écouté beaucoup de gens, locaux comme étrangers, qui avaient besoin de parler, de pleurer et de partager leurs expériences difficiles.
Durant quelques instants, elle s’est laissée aller dans un état d’esprit de tragédie. Puis elle a rencontré la nièce d’une amie, une petite fille âgée de 5 ans sauvée de justesse des inondations. Cette fillette avait un si grand sourire que Blanca est aussitôt sortie de son humeur tragique pour retrouver son calme.
Avec une amie tibétaine, elle est ensuite allée à Choglamsar aider 2 familles à sortir ce qui était possible de ce qui restait de leur maison pour le mettre en sécurité. Elle est aussi retourné à Saboo dans le même but.
Elle a aidé à monter plusieurs tentes qui allaient accueillir des réfugiés. Blanca avait déjà été dans des camps de réfugiés en Colombie et au Nicaragua, mais c’était la première fois qu’elle montait une tente pour une famille qu’elle connaissait. Cela a rendu difficile le moment de les quitter.
Par la suite, avec une centaine d’étrangers, Blanca a travaillé pendant quelques jours à vider la boue qui avait envahi une école de Shey, sur une hauteur de 1 à 2 mètres. Puis l’école a reçu de l’argent pour employer des salariés de manière à effectuer le travail plus rapidement.
Des amis de Blanca, indiens comme étrangers, ont offert de petites sommes d’argent pour aider les plus démunis. Elle essaie donc d’identifier ces familles, en particulier parmi les biharis et les népalais. Les ladakhis et les tibétains sont ceux qui reçoivent le plus de soutien. Beaucoup de népalais vivent au Ladakh à l’année alors que les biharis viennent d’une autre région de l’Inde pour travailler pendant la saison d’été. De nombreux biharis sont morts, laissant dans le besoin des familles entières qui comptaient sur ce salaire et personne ne se préoccupe de ces familles qui habitent loin du Ladakh. Blanca essaie donc de leur faire parvenir cet argent, en pensant particulièrement aux jeunes veuves.
Les exemples de solidarité ont été très nombreux et touchants. Beaucoup d’étrangers ont fui le Ladakh dès qu’ils ont pu, mais ceux qui sont restés ont formé un groupe exceptionnel avec lequel il était un plaisir de travailler. Certains d’entre eux sont des voyageurs au long cours, il était moins surprenant de les voir aider dans cette situation. Mais d’autres étaient de simples touristes, venus passer de courtes vacances dans cette partie des Himalayas, pour se retrouver armés d’une pelle et couverts de boue. Il était amusant et intéressant de voir les différents groupes – des touristes en short, à côté de ladakhis en costume traditionnels par exemple - se mélanger dans un camion ou une jeep avec le même but : aider ceux qui en avaient besoin, où que ce soit.
Parmi les histoires que Blanca peut raconter, il y a celle de cette tibétaine habitant à Leh, dont la chambre est restée intacte pendant la nuit des inondations. Mais en plein cœur de l’orage, elle a entendu un bruit intense. Dès que la pluie s’est calmée, elle est allée voir. Le bâtiment derrière le sien s’était écroulé et plusieurs biharis étaient morts. Mais dans un coin, elle a trouvé ce jeune bihari tout tremblant, trempé et couvert de boue, en état de choc. Elle l’a couvert de sa veste, l’a emmené dans sa chambre pour lui donner une boisson chaude avant de l’emmener à l’hôpital. Elle a eu la grande satisfaction d’avoir sauvé une vie.
Pendant les jours qui ont suivi le drame, la manière de penser de Blanca a changé. Elle a arrêté de souffrir à cause de tous les morts et de la tragédie, pour réaliser que cela fait partie de la vie. Une grande leçon. Comme Lundup l’a dit : « Si ça arrive à d’autres, pourquoi pas à nous ? ».
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