3 semaines après le drame qui a touché le Ladakh, il règne un silence épeurant dans le quartier dévasté de Choglamsar, dès qu’on s’éloigne de la route où on travaille activement à dégager les débris. Pas une trace de vie, même les oiseaux ont fui cet endroit désolé. Les traces de l’horreur qui a eu lieu cette nuit-là sont partout où les yeux se posent quand on remonte la rivière de pierres. Les voisins de ce secteur disent que tous les soirs, vers minuit, ils entendent encore des cris et des pleurs…
Choglamsar est une petite ville où habite une communauté tibétaine très soudée. C’est à Choglamsar que le gouvernement tibétain en exil a ses bureaux, et que le Dalaï-Lama vient lorsqu’il séjourne au Ladakh. Curieusement, aucun tibétain de cette colonie n’est décédé pendant les inondations, les seuls tibétains morts cette nuit-là vivaient en dehors de la communauté, la plupart du temps mariés à un ou une ladakhi.
Chime est une tibétaine habitant à Leh. La nuit du drame, elle s’inquiétait pour sa sœur habitant à Choglamsar. Au petit matin, accompagnée de son grand fils, elle s’est rendue sur place. Ils ne savaient pas que le quartier du terminal de bus était dévasté, qu’il y avait autant de morts : ce fut le premier choc de la journée.
Avec beaucoup de difficultés, ils ont réussi à se rendre à Choglamsar, à 7 km de là, en marchant la plus grande partie du chemin dans les décombres. Le pire les attendait à destination : plus ils s’approchaient de l’endroit où était située la maison de Yankchen, la sœur de Chime, et plus les scènes qu’ils voyaient étaient terrifiantes. Partout, des blessés, des gens couverts de boue. Les membres de l’armée Tibétaine, après avoir passé la nuit à sortir les blessés des décombres, transportaient maintenant les cadavres, frôlant parfois Chime et son fils. Chime en a encore des frissons lorsqu’elle raconte ce qu’elle a vu ou qu’elle passe devant ce lieu.
Heureusement, Yankchen, son mari et leurs 3 enfants étaient saufs. Yankchen et sa plus jeune fille, Yche, âgée de 6 ans, ont failli périr dans le courant de boue. Miraculeusement, un de leurs voisins tibétains les a sauvées en attrapant la mère enlacée à la fille par un seul doigt. Le même voisin a aussi sauvé un indien qui avait été emmené par les flots dans la maison de Yankchen, avec une jambe cassée. La maison, quant à elle, est une perte totale.
Yankchen et sa famille habitent maintenant dans une tente, dans le camp des réfugiés tibétains. Mentalement, elle vit encore dans le stress et les soucis. Où vont-ils habiter cet hiver ? D’après Chime, les ladakhis vont être les mieux nantis après la catastrophe et ce sont eux qui vont recevoir le plus d’aide. Le gouvernement indien, en plus de les reloger, leur donnerait une certaine somme d’argent.
Pour les tibétains, la situation est encore incertaine. Ils attendent une décision du gouvernement tibétain en exil et espèrent que celui-ci va leur accorder une aide suffisante. Le mari de Yankchen gagne 4 000 Roupies par mois (environ 100 $ us, ou 60 €), et la santé de celle-ci ne lui permet pas de travailler en dehors de la maison. Comment reconstruire une maison avec un tel revenu ?
Pour le moment, vivre dans une tente est difficile pendant la journée à cause de la chaleur, du manque d’intimité et de l’impossibilité de cuisiner soi-même. Mais bientôt, la température pourra descendre jusqu’à – 35° Celsius la nuit et il est urgent d’avoir un toit sur la tête.
Chime connaissait beaucoup des victimes du drame qui a eu lieu au début août. Parmi eux, cette femme de Thiksey, avec qui elle avait travaillé à TCV (Tibetan Children Village), et qui est morte avec sa fille pendant ces inondations ; sa maison s’est effondrée et elles ont toutes les deux été emportées par les flots. Une autre femme ladakhi mariée à un tibétain est morte, avec son mari et sa nièce ; son fils a été gravement blessé.
La jeune femme ladakhi travaillant dans le restaurant de Chime, Dolma, a connu un drame dans sa famille. La tante du mari de Dolma, qui habitait à Choglamsar, était prisonnière de la boue, tenant sa plus jeune fille dans ses bras. Le mari de cette tante avait déjà réussi à sauver la fille aînée et à attraper la plus jeune. Mais cette dernière a préféré retourner vers sa mère et toutes les 2 sont mortes noyées, l’une dans les bras de l’autre.
Beaucoup d’histoires similaires sont arrivées à toutes sortes de gens, qu’ils soient kashmiris, ladakhis ou autres, et beaucoup de membres de la même famille sont décédés enlacés l’un à l’autre.
De nombreuses personnes sont affectées mentalement, physiquement, financièrement : les problèmes vont suivre cette catastrophe.
Avec de la chance, la route entre Leh et Srinagar sera ouverte assez longtemps pour permettre aux magasins de rationnement gouvernementaux de remplir les stocks et personne ne manquera de nourriture pendant l’hiver. Même en temps ordinaire, il arrive qu’il n’y ait plus assez de nourriture au mois de mars, par exemple qu’il n’y ait plus de beurre ou de lait. L’année dernière, les magasins sont tombés en panne de boîtes d’allumettes et il a fallu attendre l’ouverture de la route, en mai, pour en avoir à nouveau.
D’après Chime, le drame est arrivé à cause du mauvais karma accumulé par les gens qui accomplissent de mauvaises actions, ce concept faisant partie du bouddhisme tibétain. « De nos jours, partout sur la planète, les jeunes générations courent après l’argent. Les gens des autres générations, comme celles de mes parents ou de mes grands-parents, étaient différents. Ils étaient moins éduqués, mais ils avaient un meilleur cœur, ils étaient plus polis, et s’entraidaient plus les uns les autres. Mais ceux qui reçoivent plus d’éducation perdent leurs belles valeurs… ».
Chime rêve que « les êtres aient une vie remplie de paix, un esprit serein, un bon cœur, et qu’ils prennent soin les uns les autres. C’est ce que je souhaite. »
2 commentaires:
Merci pour votre article que je me suis permise de mettre sur mon site en mentionnant vos pages
Bien cordialement
Merci Marie-Therese. Est-ce que je peux savoir quel est votre site ?
Nathalie
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